21 juin 2018
Objets connectés, incivilités, somnolence au volant : des scientifiques décryptent nos comportements sur la route
À l'approche des grands départs d'été, la Fondation VINCI Autoroutes livre les résultats de la 5e édition du Baromètre européen de la conduite responsable. Évaluation de leur propre conduite, rapport aux outils connectés, prévention du risque de somnolence ou encore influence de leurs passagers, cette vaste enquête réalisée par Ipsos auprès de 11 038 personnes dans 11 pays de l’Union européenne dresse un état des lieux des comportements des Européens au volant pour contribuer à mieux orienter les messages de prévention dans chaque pays. À cette occasion, des scientifiques partenaires du magazine Cerveau & Psycho livrent des clés de compréhension sur le fonctionnement du cerveau lorsque nous sommes au volant.
L’inattention est considérée par les Européens comme l’une des principales causes d’accidents mortels sur les routes (54 %) avec la conduite sous l’emprise d’alcool ou de stupéfiants (56 %). Il s’agit même de la principale cause d’accidents mortels citée aux Pays-Bas (72 %), en Italie (69 %), en Grande-Bretagne et en Grèce (57 %).
Cette conscience du risque est telle que 84 % d’entre eux se disent prêts à ne plus jamais téléphoner au volant (avec ou sans kit mains libres) pour faire baisser le nombre de personnes tuées. Pourtant, ils sont toujours très nombreux à utiliser des objets connectés au volant, avec des pratiques qui varient d’un pays à l’autre :
Il n’est donc pas étonnant que 7 % des Européens (jusqu’à 13 % en Italie contre 4 % en Grande-Bretagne et en Slovaquie) reconnaissent avoir déjà eu – ou failli avoir – un accident en raison de l’utilisation d’un téléphone portable en voiture.
Lorsqu’un conducteur utilise son smartphone au volant, il oublie littéralement qu’il est en train de conduire.
« La présence d’un téléphone à portée de main du conducteur complique considérablement la donne, car les smartphones ont amené dans notre voiture tout un monde qui n’y avait pas sa place auparavant. Or la réorientation de l’attention est beaucoup moins rapide et efficace quand nous sommes occupés sur notre smartphone et lire attentivement un texte court diminue instantanément notre sensibilité à ce qui se passe en périphérie selon un phénomène de resserrement du champ attentionnel. Par ailleurs, dès l’instant que nous utilisons un smartphone, la conduite est reléguée au deuxième plan de ce qu’on appelle la mémoire prospective : la mémoire de ce que vous avez à faire “après”. Aussi étrange que cela puisse paraître, vous oubliez temporairement que vous êtes en train de conduire, et cet oubli peut se prolonger sous l’effet de ce que j’ai appelé la captivation de l’attention : une cascade de réactions cognitives, motrices et émotionnelles d’autant plus longue que ce qu’on lit sur l’écran concerne des choses qui nous intéressent ou nous préoccupent personnellement.»
Jean-Philippe Lachaux
Directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, équipe Dynamique cérébrale et cognition
Une majorité de conducteurs européens reconnaît s’affranchir de certaines règles élémentaires du code de la route :
1 conducteur européen sur 10 admet qu’il lui arrive de prendre le volant en étant au-dessus de la limite d’alcool autorisée et 4 % alors même qu’ils ressentent les effets de l’alcool (jusqu’à 28 % en Grèce et 23 % en Belgique où la limite est fixée à 0,5 g/L). Une indulgence qui a des conséquences directes graves puisque 7 % des conducteurs européens reconnaissent avoir eu – ou failli avoir – un accident en raison d’une consommation excessive d’alcool (et jusqu’à 9 % en Grèce et 8 % en Belgique).
Par ailleurs, tandis que 81 % des conducteurs européens déclarent qu’ils ont déjà eu peur du comportement agressif d’un autre conducteur (jusqu’à 87 % des Français, Espagnols et Grecs), toutes les incivilités sur lesquels les Européens ont été interrogés progressent sans exception, avec certaines spécificités selon les pays :
Les conducteurs qui sont considérés comme les plus courtois au volant sont les Suédois, suivis des Slovaques et des Britanniques. Les Grecs passent pour les plus irrévérencieux pour leurs voisins, juste devant les Espagnols, les Italiens et les Français.
Narcissisme et effet “cockpit” : un cocktail explosif
« Tous les conducteurs ne sont pas égaux face à l’agressivité au volant et des facteurs de personnalité peuvent expliquer une propension plus forte aux incivilités. Par exemple, estimer que l’on nous a refusé une priorité ou considérer que le conducteur du véhicule qui s’est rabattu devant nous nous a manqué de respect, sont des attitudes probablement exacerbées chez les personnes ayant un niveau de narcissisme élevé.
Par ailleurs, le simple fait de se trouver assis dans un lieu clos crée un effet d’anonymat et instaure une distance psychologique avec autrui dont les conséquences peuvent être importantes. C’est l’effet ”cockpit”, un facteur qui favorise les agressions. Plusieurs études montrent également que la densité du trafic créée une frustration lorsque l’atteinte d’un but est bloquée par un obstacle, provoquant une série d’émotions négatives qui favorisent l’éclosion de pensées hostiles. »
Laurent Begue
Professeur de psychologie sociale à l’Université Grenoble-2, membre de l’Institut universitaire de France et directeur de la Maison des sciences de l’Homme–Alpes
Bien que les Européens avouent adopter des comportements à risque, l’autosatisfaction prévaut et ils jugent très positivement leur attitude au volant. 97 % citent au moins un adjectif positif pour se décrire et se disent vigilants (74 %), calmes (57 %) et courtois (26 %). A contrario, ils sont très peu nombreux à s’estimer stressés (11 %), et pour ainsi dire jamais agressifs (3 %), irresponsables (1 %) ou dangereux (1 %).
Pourtant, quand ils jugent le comportement des autres, les conducteurs européens se montrent nettement moins indulgents puisque 83 % d’entre eux citent au moins un adjectif négatif pour qualifier leur conduite : 47 % les jugent irresponsables, 34 % stressés, 31 % agressifs et 30 % dangereux.
Pourquoi pense-t-on toujours être « le meilleur conducteur » ?
« Tous, à notre façon, nous pensons conduire mieux et plus sûrement que les autres. Il s’agit pourtant d’un biais cognitif dit ”d’auto-complaisance” qui conduit les personnes à faire appel à des facteurs internes à soi pour expliquer les événements positifs, et externes à soi pour expliquer les événements négatif. Sur la route, on se considère prudent (une caractéristique interne) et l’on adopte dans le même temps des comportements qui ne le sont pas (car dictés par des circonstances dans lesquelles on se retrouve – explication externe). En somme, ”je suis prudent, mais ce jour-là j’ai été obligé d’accélérer car sinon j’allais rater mon avion”. Une autre forme de rationalité explique ce paradoxe. Il s’agit d’un biais d’optimisme qui amène le conducteur à croire que les événements positifs sont plus susceptibles de lui arriver qu’aux autres. Ainsi, si nous pensons toujours que les accidents n’arrivent qu’aux autres, c’est parce que nous sommes victimes d’un biais cognitif : l’optimisme comparatif. Biais d’auto-complaisance et optimisme comparatif sont des pièges inhérents à notre psychologie qui doivent alerter les conducteurs à ne plus se déresponsabiliser et à croire qu’ils s’en sortiront toujours. »
Stéphanie Bordel et Alain Somat
Chercheur en psychologie sociale au CEREMA et Professeur de psychologie sociale à l’Université Rennes-2
28% des conducteurs européens déclarent dormir 6h ou moins en semaine, soit 1 heure de moins que les recommandations des médecins spécialistes du sommeil. À cette dette de sommeil chronique s’ajoute, pendant les périodes de grands départs, un manque de sommeil conjoncturel : 80 % des conducteurs Européens se couchent plus tard ou se lèvent plus tôt que d’habitude (et presqu’à 9 conducteur polonais sur 10),
76 % finissent leurs préparatifs tard dans la soirée avant le départ (88 % des Grecs) et 67 % partent de nuit (8 Polonais sur 10).
À cela s’ajoutent des temps de conduite trop longs qui continuent de s’allonger avec une pause en moyenne après 3h16 de conduite, 2 minutes de plus qu’en 2017 et 10 de plus qu’en 2016 (jusqu’à 4h16 pour les Polonais mais 2h48 pour la France). Seulement 26 % des Européens respectent la recommandation d’une pause toutes les 2 h.
D’ailleurs, les incidents liés à la somnolence au volant sont plutôt en augmentation : les Européens sont 26 % (+1 pt) à avoir déjà eu l’impression de s’être assoupis durant quelques secondes au volant (jusqu’à 33 % en France contre 16 % en Grande-Bretagne) et 16 % (+2) à avoir déjà empiété sur la bande d’arrêt d’urgence ou sur le bas-côté à cause d’un moment d’inattention ou d’assoupissement (jusqu’à 26 % en France contre 9 % en Grèce et aux Pays-Bas).
Des évènements loin d’être anecdotiques puisque 9 % des Européens ont eu ou failli avoir un accident en raison d’un épisode de somnolence (jusqu’à 13 % en Grèce), soit davantage que les accidents ou presque accidents causés par l’utilisation du téléphone au volant ou une consommation excessive d’alcool (7 %).
Pourtant 36 % des Européens identifient la somnolence comme l’une des principales causes d’accidents mortels sur autoroutes. Pour les Français qui semblent particulièrement sensibilisés à ce risque, la somnolence reste, à juste titre, la cause d’accidents mortels sur autoroute la plus citée (52 %).
Les bonnes pratiques pour lutter contre le risque de somnolence au volant sont d’ailleurs adoptées par de nombreux Européens mais ne sont malheureusement pas encore des réflexes pour tous et sont même en léger recul. Ainsi :
Alors même que 17 heures de veille active équivalent à 0,5 g d’alcool dans le sang, la fatigue au volant ne semble pas encore susciter chez les Européens le même réflexe de protection à l’égard d’autrui que l’alcool puisque 38 % des Européens n’insistent pas pour retenir un conducteur trop fatigué (contre 16 % dans le cas d’une personne alcoolisée).
« Les problèmes d’attention sont amplifiés par la fatigue qui réduit l’efficacité de la partie avant du cerveau – le cortex préfrontal – dont l’une des fonctions est de gérer très rapidement dans le temps l’allocation des ressources attentionnelles en fonction d’une vue globale de la situation du moment ».
Jean-Philippe Lachaux
Directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon
Près d’1 conducteur européen sur 2 ne pense pas aujourd’hui que la présence de passagers puisse influencer leur conduite : 49 % déclarent ne faire ni plus ni moins attention, qu’ils conduisent seuls ou accompagnés.
Pourtant, le passager est à la fois un témoin des comportements du conducteur et une vigie protectrice prête à intervenir pour lui-même, pour le conducteur et pour les éventuels autres passagers en appelant à plus de responsabilité. Un interventionnisme particulièrement marqué en Grèce et peu présent aux Pays-Bas :
Mais le passager peut également avoir une influence négative, en incitant le conducteur à adopter des comportements à risque :
C’est pourquoi, à l'approche des départs en vacances d’été, la Fondation VINCI Autoroutes pour une conduite responsable rappelle quelques conseils simples pour limiter les risques de somnolence au volant qui demeure la 1re cause d’accidents mortels sur autoroute :
Pour réaliser le Baromètre du comportement des Européens au volant, l’Institut Ipsos a interrogé du 19 janvier au 27 février 2018, par internet, 11 038 personnes âgées de 15 ans et plus, dont 1 000 personnes minimum dans chacun des 11 pays sondés. La représentativité de chaque échantillon est assurée par la méthode des quotas.
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